Livres 26 novembre 2022

Féminisme et masculinité avec bell hooks

Récemment, j’ai terminé la lecture « The Will to Change » de bell hooks. Ce livre portant sur la volonté de changer plutôt que sur la peur du changement a su ébranler quelques-unes de mes conventions.

Par Marily Nolet

Féminisme et masculinité avec bell hooks

Écrit et publié dans l’État de New York au début des années 2000, cet essai libre et féministe nous amène à réfléchir sur la place que prend le patriarcat dans nos vies. Parler de patriarcat en tant que féminisme, ce n’est pas nouveau, mais y amener la masculinité et les effets de ces conventions sur les garçons et les hommes avec autant de tact, touche une corde sensible.

Cette lecture m’a fait prendre conscience que le patriarcat est effectivement néfaste pour les femmes, mais aussi pour les hommes. J’ai reconsidéré mon rôle en tant que féministe pour soutenir un changement de société inclusif et égalitaire.

Les femmes, l’égalité et la domination

D’abord, j’avais envie de me pencher sur une partie du livre qui parle des femmes. L’auteure bell hooks nous explique qu’en évoluant dans un système patriarcal, certaines femmes pour prendre leurs places dans la société vont emprunter la voie tracée par le patriarcat pour obtenir des privilèges, c’est-à-dire celle de la manipulation et du contrôle. J’avoue en avoir été témoin dans ma vie personnelle et professionnelle et avoir eu mal. La solidarité féminine n’est pas acquise et dans son essai, hooks nous prévient. Elle nous fait comprendre, dans ses mots, que les femmes qui choisissent cette voie, sont propulsées dans une vie sans amour, tout comme les hommes.

Plus que jamais dans l'histoire de notre nation, les femmes sont encouragées à assumer le masque patriarcal et à enterrer leurs émotions aussi profondément que leurs homologues masculins. Les femmes adoptent ce paradigme parce qu'elles estiment qu'il vaut mieux être un dominateur que d'être dominé. Cependant, il s'agit d'une vision perverse de l'égalité des sexes qui offre aux femmes un accès égal à la maison des morts. Dans cette maison, il n'y aura pas d'amour.

–bell hooks, The Will to Change, p.184

Les femmes prises aux pièges du perfectionnisme patriarcal, font face à un véritable enjeu. Dès qu’elles prennent du pouvoir, elles sont harcelées pour être plus parfaites que parfaites, pour s’inscrire le plus précisément possible dans le modèle actuel du pouvoir. Je comprends leurs choix, ce n’est pas une mince affaire, les enjeux sont grands. Ces femmes se battent pour obtenir du pouvoir. Toutefois, dans cette domination du patriarcat, la solidarité et l’amour sont en voie de disparition. Est-ce réellement l’égalité pour laquelle on se bat?

Dans cette quête de la perfection, je vois rapidement apparaître dans mon esprit un visage féminin, mais qu’en est-il du perfectionnisme chez les hommes? À quel point ça joue sur le regard qu’ils portent sur eux-mêmes ou que nous portons sur eux?

Le perfectionnisme chez les hommes

D’abord, portons notre regard vers les statistiques. Les hommes meurent plus tôt que les femmes, de presque 10 ans… Ils souffrent de dépression et d’alcoolisme, ils se suicident en plus grand nombre, ils meurent au combat, ou encore, ils se submergent de travail :

Le workaholisme est la dépendance la plus courante chez les hommes car il est généralement récompensé et non pris au sérieux comme un préjudice à leur bien-être émotionnel. … C'est une transe auto-induite qui éloigne temporairement les émotions douloureuses de votre conscience.

–bell hooks, The Will to Change, p.158

Les hommes ne sont pas tous heureux dans le système patriarcal actuel. Les hommes pour être des hommes, pour atteindre ladite perfection masculine, doivent trouver le moyen d’être distant, de s’isoler de leurs émotions, et véritablement d’eux-mêmes. L’autrice, bell hooks dit même que si un homme n’a pas la volonté de s’éloigner du patriarcat, il va choisir d’avoir raison plutôt que d’être aimé. C’est d’ailleurs ce qu’ils apprennent depuis qu’ils sont petits. À un certain point les mères cessent de couvrir d’amour leurs petits garçons, car elles veulent qu’ils deviennent des hommes. Elles font ça pour eux, cependant quand ces hommes grandissent, comment sont-ils supposés aimer si pour répondre aux attentes, ils ont dû être privés d’amour? Prisonniers du perfectionnisme attendus d’eux dans la société, les hommes passent à côté de leurs lumières; ils sont l'ombre de ce qu'ils pourrraient être.

Le livre de bell hooks avec ombre et lumière
Ce livre

Mes attentes envers les hommes

Finalement, bell hooks m’a fait rendre compte du rôle que je joue en tant que femme dans ces conventions sociétales. Elle a mis le doigt sur mes attentes envers les hommes; pour n’en dire que quelques-unes; protecteur, fort, héros. La citation suivante m’a touché en plein cœur :

Je ne voulais pas entendre la douleur de mon partenaire masculin parce que l’entendre exigeait que je renonce à mon investissement dans l’idéal patriarcal du mâle en tant que protecteur des blessés. S’il était blessé, comment pourrait-il me protéger?

–bell hooks, The Will to Change, p.143

Peut-être que nous sommes en 2022, mais ces conventions sont encore bel et bien dans mon subconscient. Comment est-ce que je réagis quand mon frère, mon père ou mon amoureux m’avouent des difficultés ou quand ils pleurent (ce qui n’arrive, d’ailleurs, pratiquement jamais)? Le seul endroit admissible pour pleurer pour un homme semble être devant un film, et encore. Il semble que pour les hommes, il n'y ait que deux options; la colère ou l’absence d’émotions.

Je veux que mes proches masculins me partagent leurs difficultés, mais je reconnais qu’une partie de moi ne sait pas comment réagir, j’ai plus souvent envie de fuir ou de changer de sujet. Est-ce que mes attentes envers les hommes concordent avec mes valeurs?

Puis, si on regarde le versant de la médaille avec la définition que donne bell hooks de l’homme transformé par le féministe :

Une fois que « l'homme nouveau » qu'est l'homme changé par le féminisme a été représenté comme une mauviette, comme un brocoli trop cuit dominé par des femmes puissantes qui aspiraient secrètement à son homologue macho, des masses d'hommes se sont désintéressées.

–bell hooks, The Will to Change, p.112

Je connais beaucoup d’hommes absolument merveilleux et je suis convaincue qu’ils recherchent un changement de paradigme, mais ce modèle d’homme nouveau n’est pas inspirant, alors quelle est l’alternative?

La compassion et l'amour

C’est ici que bell hooks nous parle de compassion, d’amour et de résistance. Ça me semble une évidence, et pourtant. Elle introduit ce concept avec une citation du Dalaï Lama :

La compassion est l'une des principales choses qui donnent un sens à nos vies. C'est la source de tout bonheur et de toute joie durable. Et c'est la base d'un bon cœur.

–bell hooks, The Will to Change, p.150

En lisant ce message de compassion, je me dis que nous devrions, au moins essayer, de créer une communauté où l’on peut se sentir transporté par le message d’amour des milliers qui nous entourent. Nous devrions être capable de retourner à nous-mêmes, de toucher notre âme, de reconnaître et de vivre nos émotions sans ressentir le poids de la société sur nos épaules.

bell hooks ajoute que de reconnaître que les hommes souffrent des attentes de la société, même s’ils reçoivent plus de privilèges, est une manière d'accueillir les hommes dans le mouvement féministe et d’honorer leurs contributions. C’est une manière d’avancer ensemble et de reconnaître notre humanité.

Celles d'entre nous qui aiment les hommes ne veulent pas continuer notre voyage sans eux. Nous avons besoin d'eux à nos côtés parce que nous les aimons.

–bell hooks, The Will to Change, p.185

Conclusion

L'auteure bell hooks a su me convaincre de la place des hommes dans le mouvement féministe, mais aussi de ma place dans l’inclusion. À travers son essai, j’ai découvert que l’égalité vient avec l’amour; ils avancent main dans la main. J’aime les hommes, et j’ai envie qu’ils puissent eux aussi expérimenter les joies et les peines; qu’ils aient accès à tout un éventail d’émotions.

D’ailleurs, j’apprivoise moi-même doucement la colère. Une émotion, qui est plus masculine dans nos conventions sociétales. Je dois dire que simplement apprendre à la reconnaître et à la nommer est tout un défi. Toutefois, maintenant, lorsque je la reconnais, elle est un cadeau qui me permet de me respecter, qui me permet de dire c’est assez, la limite est atteinte et quelque chose doit changer.

Toutes les émotions ont une raison d’être. Soyons à l’écoute. Je pense que nous pouvons apprendre les un-es des autres, en développant notre compassion, et surtout, en faisant entrer le plus d’amour possible dans nos maisons.

Je vous encourage définitivement à lire l’essai. Dans cet article, j’ai à peine toucher quelques concepts. Pour les intéressé-es, je vous laisse le lien ici.

Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

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