Livres 06 février 2021

L’échappatoire : « L’immortalité » par Milan Kundera

La lecture est l’échappatoire par excellence. Je vous invite, donc, dans mon nouveau concept l’échappatoire, question de philosopher sans restrictions! Dans cette série d’articles, je vais discuter de mes lectures en passant par les citations qui m’ont le plus marqué et me laisser aller dans toutes sortes de réflexions. Commençons avec « L’immortalité » de Milan Kundera.

Par Marily Nolet

L’échappatoire : <span class='text-nowrap'>« L’immortalité »</span> par Milan Kundera

D’abord, je m’impose avec une courte mise à jour. Dernièrement, j’ai consacré mon temps à développer d’autres genres d’histoires. J’écris des nouvelles, des récits, etc. Je me lance dans une aventure imaginaire et je creuse dans mes souvenirs pour y donner de la substance. Par ce cheminement, j’ai renoué avec la lecture et j’ai réalisé que si mon but est d’écrire davantage alors lire est essentiel. J’avais oublié à quel point j’aimais me laisser porter par un livre. Et c’est cette passion renouvelée que j’ai envie de partager avec vous!

Mon nouveau concept : L’échappatoire

Dans les prochains mois, je vais vous faire prendre part à mes lectures d’une manière bien personnelle. Je vais discuter de ce que je lis en passant par les citations qui m’ont le plus marqué et vous faire entrer dans ma tête avec les questionnements qui en ont découlé. Entre restrictions et bouffées d’air, la lecture est l’échappatoire par excellence!

L’immortalité de Milan Kundera

Mon premier choix s’est arrêté sur « L’immortalité » de Milan Kundera. Cette œuvre littéraire raconte différentes facettes de l’immortalité. Entre les lignes du récit, nous suivons quelques personnages dans leur quête de sens, dans les hauts et les bas de leurs émotions, mais surtout, dans le dépassement de leur soi.

La première citation sur laquelle je vais me poser en est une qui représente bien l’entièreté de l’œuvre et, plus particulièrement, ce que j’en retire.

Aspirant à la grande immortalité, Bettina veut dire; je refuse de disparaître avec le présent et ses soucis je veux me dépasser moi-même, faire partie de l’Histoire parce que l’Histoire est la mémoire éternelle. Même si elle n’aspire qu’à la petite immortalité, Laura veut la même chose : se dépasser elle-même et dépasser le moment malheureux qu’elle traverse, faire « quelque chose » pour rester dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connue.

–Milan Kundera, L’immortalité

S’il y a bien une fatalité qui touche tous les humains, c’est la mort; la vie a un début et une fin. Toutefois, la lecture de ce livre m’a amené à pousser la fatalité plus loin que la mort du corps, à m’interroger sur ce que j’aimerais laisser en héritage sur cette terre. Qu’est-ce qui est essentiel?

Il n’y a pas si longtemps, être de la grande Histoire faisait partie de mes pensées courantes. Je me rappelle clairement les manifestations historiques dans les rues de Montréal, et consciemment je me disais que je ne pouvais pas manquer ça. Il fallait que je fasse partie de l’Histoire avec un grand « H », que je puisse raconter les événements. Cela s’appliquait pour les grands moments historiques, mais aussi pour chaque party… jusqu’à la dernière minute; j’étais toujours celle qui fermait les lumières. Que signifiait cette rage de vivre, cette volonté d’être présente partout et tout le temps, si ce n’était que de vouloir être immortelle?

À présent, je ne ressens plus ce désir irrépressible d’être de tout ce que je connais ou découvre, ma vision du monde s’est un peu élargie et je comprends qu’il y a plus d’une bonne voie à suivre. Toutefois, je me pose la question, est-ce que mon immortalité s’arrête à mon entourage et à tous ceux qui m’ont connu comme Laura ou si j’ai plutôt envie de me la jouer Bettina et tout faire pour appartenir à la mémoire éternelle?

Je me dis que je vise probablement un entre-deux, une place du milieu, mais certainement le concept d’immortalité m’a captivé, et vous?

La deuxième citation que je vais aborder fait référence à l’image. L’image est un concept extérieur à notre personne, pourtant il est hautement intériorisé.

Car c’est ainsi, et la loi vaut pour tout le monde : nous n’apprenons jamais pourquoi et en quoi nous agaçons les autres, en quoi nous leur sommes sympathiques, en quoi nous leur paraissons ridicules ; notre propre image est pour nous le plus grand mystère.

–Milan Kundera, L’immortalité

Ce que j’en déduis, c’est que nous n’avons que très peu de pouvoir sur l’image que nous envoyons dans le monde. Pourtant, l’apparence est l’un de nos plus grands soucis; qu’est-ce que les autres diront? Combien de fois, après coup, j’aurais voulu avoir une réponse plus tranchée, une réaction plus appropriée, ou encore, une coiffure avec plus d’allure? En deçà, nous pouvons tout faire pour avoir l’air de quelque chose, mais ce que les autres en diront, en penseront, en jugeront reste un grand mystère.

De plus, cette citation m’a mis la puce à l’oreille par rapport à la séparation du corps et de l’esprit. Notre corps est ici et maintenant et l’autre corps est là et maintenant, pourtant nous n’avons aucune idée de ce que l’autre voit et l’autre n’a aucune idée de ce que nous voyons. Ça n’existe que dans leur esprit; que dans notre esprit. J’ai vu un parallèle dans les caractéristiques qui rejoignent la mort et le corps, puisque c’est visible et fatal, alors que l’immortalité est comme l’esprit, invisible et mystérieux.

Le reflet d'un arbre dans un marais.
Je vous laisse là-dessus.

La troisième et dernière citation sur laquelle je veux revenir est celle qui relate la transformation, à notre époque, de nos désirs en droits.

[…] à mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité, elle perdait tout contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant les désirs en droits. Le monde est devenu un droit de l’homme et tout s’est mué en droits : le désir de l’amour en droit à l’amour, le désir de repos en droit au repos, le désir d’amitié en droit à l’amitié, le désir de rouler trop vite en droit de rouler trop vite, le désir de bonheur en droit au bonheur, le désir de publier un livre en droit de publier un livre, le désir de crier la nuit dans les rues en droit de crier la nuit dans les rues.

–Milan Kundera, L’immortalité

Mise en contexte de la citation : Un personnage veut aller dans une épicerie fine, acheter son vin hors de prix, pas parce que c’est meilleur, mais seulement pour le plaisir de dépenser de l’argent et de le montrer à la vue de tous, c’est ce qui la rend heureuse. Ce jour-là, elle ne trouve pas de stationnement, alors elle se gare sur un trottoir. En se rendant à l’épicerie, elle remarque qu’il y a une manifestation de chômeurs devant et à l’intérieur de l’épicerie. Les chômeurs ne crient pas, ils ne cassent rien, ils sont seulement là pour mettre les richards dans l’embarras. Elle se fraye un chemin, achète ce qu’elle veut sans sourciller et repasse devant les chômeurs avec ses produits hors de prix. Quand elle revient à sa voiture, deux policiers l’attendent. Elle leur dit immédiatement qu’il n’y avait aucun autre stationnement disponible et que s’il était permis aux gens d’acheter des voitures alors ils devraient prévoir un endroit où pouvoir les mettre, c’est de la simple logique. Elle se sentit, tout à coup, unie au groupe des chômeurs, appartenant au même combat.

Ceci m’amène à me questionner sur la limite des désirs et des droits dans la vie en société. Surtout, en contexte pandémique, je m’interroge. J’ai un désir de liberté et j’y ai droit, mais quelle est limite? J’ai le désir d’accéder au bonheur, mais à quel prix? Par exemple, je peux avoir le désir d’écrire publiquement une opinion, et j’y ai droit, mais est-ce que ça veut dire que je devrais le faire?

Bref, où se situe la limite entre le désir de faire ou d’avoir quelque chose et le droit de le faire ou de l’avoir? Est-ce que j’en demande trop au monde? Est-ce que mes désirs personnels sont vraiment le centre de l’univers? « À mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité, elle perdait tout contenu concret… » Qu’est-ce que le contenu concret au sein de mes désirs?

Ça vous a plu?

Voilà! C’était le premier article de ma série L’échappatoire avec « L’immortalité» de Milan Kundera. J’espère que vous avez apprécié ce nouveau concept. On se retrouve bientôt pour le prochain article de L’échappatoire. Bonne semaine!

Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

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