Livres 08 avril 2021

L’échappatoire : « Les grandes marées » de Jacques Poulin

Cette semaine, j’ai décidé de revenir sur un livre québécois. Il y a un an, Christopher et moi revenions au pays en catastrophe, déjà un an que le Québec est notre maison. Je me suis dit que c’était l’occasion parfaite pour mettre à l’honneur « Les grandes marées » de Jacques Poulin; un classique québécois publié en 1978.

Par Marily Nolet

L’échappatoire : « Les grandes marées » de Jacques Poulin

Tout au long de ce livre, nous suivons la vie d’un traducteur de l’anglais au français qui habite une toute petite île du fleuve Saint-Laurent. Personnellement, je me suis vite reconnue en lui; mon quotidien étant empreint du mariage de l’anglais et du français, littéralement, passant une grande partie de mon temps de cerveau à traduire différentes expressions, à les rendre le plus près de la réalité possible, afin que Christopher et moi soyons sur la même longueur d’onde. Le détail porté sur cet aspect a su toucher mon cœur! Somme toute, c’est un livre rafraîchissant et enracinant.

Les grandes marées en bref

Dans cet article, je mettrai l’accent sur deux citations qui relatent deux thèmes qui me sont chers, soit l’identité québécoise et l’imaginaire des mots.

L’identité québécoise

Tout d’abord, je vous partage une citation sur la réalité floue et pourtant si frappante qu’est l’identité québécoise. Ce passage m’a bien fait rire.

On n’est pas des Français! coupa brutalement l’Auteur.
Je vous l’accorde, mais diriez-vous que vous êtes des Américains?
Non plus!
Alors qui êtes-vous? demanda le professeur, qui avait une propension à s’échauffer rapidement.
On cherche, répondit platement l’Auteur.

–Jacques Poulin, Les grandes marées

Combien de fois ai-je eues des questionnements identitaires? Souvent. J’ai toujours été captivée par la recherche d’une identité fixe, logique et constante au Québec, alors que je ne peux faire autrement que de me dire qu’elle est tout le contraire, c’est-à-dire, en mouvement. Selon moi, la beauté de l’identité québécoise se trouve dans l’exploration, et c’est de ça, je pense, que nous devrions être fiers; cessons d’être réfractaire aux nouvelles idées et aux saveurs multiples qui font partie du Québec d’aujourd’hui. Idéalement, il y aurait aussi une discussion à entamer afin de réécrire l’Histoire du Québec, du Canada et de l’Amérique au grand complet, mais ça, c’est un autre débat.

Donc, je constate que de la frontière américaine à l’histoire française, soit on surf la vague, soit on se laisse submerger. À quoi bon se fixer sur un point précis dans le temps et l’espace? Prenons le temps d’analyser tous les angles et de bien comprendre où se situe l’humanité dans le casse-tête du succès moderne. Prenons l’avenue du milieu et apprécions la beauté et la diversité du paysage à sa juste valeur.

L’imaginaire des mots

Ensuite, changement de sujet, entrons dans la poésie des mots, dans l’image et l’imaginaire qu’ils peuvent créer. Ce monde m’a toujours fasciné, et en lisant Jacques Poulin, je me rends compte que je ne suis pas la seule.

Alors il vit que le mot n’était pas seul et qu’il traînait derrière lui deux autres mots du même sens, mais d’allure différente : « perspicacité » et « lucidité » ; il écarta le premier, qui avait un air sournois, puis il tenta de comparer « lucidité » et « clairvoyance », mais, sous l’effet de la fatigue, ses pensées se mirent à dériver au gré des associations inconscientes et il en arriva à la conclusion irrationnelle que le mot « lucidité » convenait mieux à la chaleur de l’été tandis que le mot « clairvoyance » se prêtait davantage à la saison hivernale.

–Jacques Poulin, Les grandes marées

J’aime beaucoup le temps que cet auteur accorde aux mots. Cet introspection dans l’univers d’un mot en particulier est rafraîchissante, car, oui, un mot plutôt qu’un autre fait toute la différence dans une phrase. L’imaginaire qui entoure chacun des mots de notre vocabulaire est magique. Il n’y a rien de très rationnel là-dedans, seulement de la pure émotion subjective. Notre imaginaire nous appartient, mais grâce à des auteurs comme lui, notre imaginaire a la possibilité de devenir collectif, et là, tabarouette, ça peut faire des feux d’artifice!

Ce qui me porte à parler brièvement de l’univers qui se déploie sous nos yeux lorsque nous faisons l’apprentissage d’une nouvelle langue. Plonger dans une langue étrangère, c’est comme découvrir un monde parallèle. Fait intéressant, seulement au Canada, deux cents langues sont parlées couramment : l’anglais, le français, soixante-six langues autochtones et cent vingt-huit langues immigrantes. C’est impressionnant quand même! Sur la planète, il y aurait sept milles langues actives, dont 40% seraient en danger de disparaître; et ça, c’est une tragédie. Il faut le dire, chaque fois qu’une langue meurt, un univers disparaît. C’est l’une des plus grandes tristesses du monde, et pourtant nous en sommes à peine conscients. Chérissons nos mots, aimons-les. Ils méritent notre effort collectif. Les mots et les expressions sont un moteur culturel, ils sont des créateurs d’univers. Soyons curieux, soyons sensibles, soyons fiers!

À bientôt

Si vous n’avez jamais lu Jacques Poulin, je vous recommande bien entendu « Les grandes marées », mais aussi « Volkswagen Blues », ce dernier vous fera voyager dans un roadtrip à travers l’histoire!

Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

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