Réfléxions 14 mai 2021

Hommage à Serge Bouchard

Le jour où j’ai découvert Serge Bouchard, j’ai tout de suite entrevu un mentor de philosophies et de pensées. Je discernais enfin des idées auxquelles je pouvais croire et aspirer.

Par Marily Nolet

Hommage à Serge Bouchard

J’avais vingt ans et bien beau étudier l’histoire et la psychologie à l’Université, je ne comprenais pas la tournure du monde, je ne comprenais pas l’histoire que l’on racontait aux jeunes dans les écoles secondaires, je ne comprenais pas cette technologie qui nous vampirisait dans un monde loin de l’humain, je ne comprenais pas que nous n’ayons pas de projets de société, et surtout, je ne comprenais pas pourquoi personne ne comprenait.

Puis, un jour, un de mes colocs m’a dit : « Marily, il faut que tu lises ce livre-là. Je te le prête, si tu veux, mais ramène-le-moi, il est précieux. » Ce livre était : C’était au temps des mammouths laineux. Dès les premières pages, une lumière divine est apparue. Enfin!

Je pouvais me tourner vers quelqu’un, je pouvais reprendre confiance en la vie et en mon peuple. J’avais une certaine ligne de vie à vivre et par ces écrits je comprenais qu’il me donnait le droit de la vivre et d’en être fière. Il me donnait le droit de ralentir même si j’étais dans la force de l’âge, il me donnait le droit de contempler la vie avec des yeux d’enfants ad vitam aeternam, il me donnait le droit de m’inventer, de créer, de rêver. Il me donnait accès à des histoires sur l’Amérique Francophone, les Innus, Abénakis, Cris, Micmacs, Hurons-Wendats, Algonquins, Inuit, etc.; celles que je rêvais d’entendre. Il mettait notre diversité, notre richesse, nos vrais héros sous les projecteurs. Il donnait une voix à ceux qui n’en ont habituellement pas. Je me reconnaissais dans mon histoire pour la première fois.

L’été dernier, j’ai lu ou devrais-je dire dévoré De remarquables oubliés. M’évertuant chaque matin à traduire en anglais à Christopher tout le trésor d’histoires que je venais de découvrir : « Did you know… blah blah blah? » Comment ça se fait que je ne savais rien de Mina Benson Hubbard, d’Emma Lajeunesse, de Marie-Josèphe Angélique, de Madame Montour, de Marie Iowa Dorion, de Susan La Flesche Picotte et bien d’autres? Les femmes ont fait l’Amérique? C’était la première fois que je lisais des histoires positives, héroïques ou même tout court sur Elles. Puis, j’ai couru chercher le tome 2 et j’ai enchaîné avec des hommes légendaires comme Étienne Brûlé, Louis Jolliet, Pierre Le Moyne d’Iberville, Jean-Baptiste Charbonneau, Gabriel Franchère et d’autres. Ces hommes ont été pirates, coureurs des bois, découvreurs, traducteurs, bâtisseurs, etc. Ces histoires parlaient de nous. Pas toujours en bien, pas toujours en mal, mais en vrai. Ça me touchait, c’était magnifiquement écrit. Par ces récits, j’ai compris la force de l’écriture, la force de raconter la vérité et d’aller plus loin que ce qu’on pense entendu ou réglé.

Au-delà de ça, M. Bouchard m’a fait croire aux mystères de la vie. Dans son dernier livre, Un café avec Marie, il dit :

Plus nous en apprenons, plus nous découvrons l’étendue de notre ignorance. Plus le mystère s’approfondit. Alors le mystère autant vivre avec, autant l’ingérer à nos philosophies. Il est énorme, le traité de notre ignorance, il est volumineux, le traité des mystères. Dans le bois, je choisis de croire, je me laisse aller aux secrets des lieux.

–Serge Bouchard, Un café avec Marie

Apprécier la vie telle qu’elle se présente à nous, être curieux, l’écouter, la lire et l’aimer. C’est ainsi qu’il m’a fait croire en l’amour; l’amour que j’ai envie de vivre et de bâtir, chaque jour.

Quand déjà à quatre ans, tu aimes le trottoir et le gravier dans la cour, les chiens perdus, ton père et l’auto noire de ton père, cela indique un certain penchant. En vérité, durant le temps de toute ma vie, j’ai simplement aimé l’amour et j’en ai mis de grands élans dans à peu près tous mes regards.

–Serge Bouchard, Un café avec Marie

Jusqu’à :

Voyez ce vieux couple sur le quai de la gare : la dame est en train d’arranger les sourcils en bataille de son vieux compagnon. Elle remet son col en place, vérifie la propreté de son manteau, l’ajustement de son chapeau. Elle veut qu’il soit le plus beau vieux de la place. Lui, il sait que sa vieille femme même à quatre-vingts ans est la plus belle créature des cinq continents.

–Serge Bouchard, Un café avec Marie

Comment ne pas tomber en amour? Honnêtement, je ne peux pas croire que Serge Bouchard n’existera plus en chair et en os. Que je n’aurai plus le bonheur d’aller à la librairie me chercher ses nouveaux livres en gambadant, le cœur trépidant tellement j’ai hâte de le lire. Me lever le prochain matin, me faire un café et lire quelques pages, exciter comme une enfant à Noël. Il avait le don de me ramener à l’essentiel quand je partais trop haut dans les vapes du ciel. Il avait le pouvoir de me faire croire en une vie que je peux rendre belle, en étant moi-même, tout simplement.

Plus rien n’existe que cet instant, que cette scène où nous discutons, Marie et moi, en buvant notre tasse de café. Mais le meilleur, c’est quand elle ne dit mot, quand je garde moi-même le silence, et que nous nous entendons penser, elle dans ma tête et moi dans la sienne. Inutile de lutter contre la fugacité et l’éphémère, dirait le sage. La belle vie n’est rien d’autre que ce café pris avec Marie, une suite de matinées, une heure, une seconde, le sourire de ma fille qui s’en va au collège, ma petite-fille qui m’annonce sa visite, cet instant où tu sais que tu es au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes.

–Serge Bouchard, Un café avec Marie

Avec lui, j’ai réalisé que la vie est ce qu’elle est. Il suffit d’être là, d’être curieux, de prendre sa place, de la comprendre, de la rêver, d’agir et d’aimer. Merci, Serge Bouchard, d’avoir existé avec tout votre cœur. Votre esprit me manquera.

Je vous souhaite de belles retrouvailles avec vos grands amours. Je ne sais pas trop si vous croyez à ces choses-là, mais je vous le souhaite quand même; que vous vous retrouviez à la cime des épinettes, sur les flots des grandes rivières, finalement libres, de toutes mouches noires.

Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

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