Réfléxions 22 septembre 2020

Mais qui donc a activé ce moulin à paroles?

Combien de fois ma mère m’a-t-elle raconté que lorsqu’elle passait ses journées entières avec moi, elle avait hâte que mon père revienne de travailler afin que son oreille prenne le relais pour écouter toutes mes histoires? J’aimais tout de la vie, tout raconter et ça n’a pas changé.

Par Marily Nolet

Mais qui donc a activé ce moulin à paroles?

« Serge, un an et demi, il aime le monde, il aime la vie, ça lui sort de partout… il parle sans arrêt, il parle tout le temps. » Et ma mère de répandre dès ma petite enfance la rumeur qui devint une légende familiale : Serge parle du matin jusqu’au soir. Mais qui donc a activé ce moulin à paroles? D’où venait dans ma petite enfance cette pulsion de nommer, de raconter? Apparemment, je découvrais le monde et ce monde, je croyais qu’il fallait le dire dans sa totalité. Pourquoi réciter ainsi toutes les réalités, toutes les images, toutes les idées?

–Serge Bouchard, L’Allume-cigarette de la Chrylser noire

Dernièrement, j’ai eu des réflexions, beaucoup de réflexions. J’ai décidé de commencer avec cette citation de Serge Bouchard parce qu’en elle, je me suis reconnue à mes débuts. Combien de fois ma mère m’a-t-elle raconté que lorsqu’elle passait ses journées entières avec moi, elle avait hâte que mon père revienne de travailler afin que son oreille prenne le relais pour écouter toutes mes histoires? J’aimais tout de la vie, tout raconter et ça n’a pas changé.

Je réalise que les journées, les semaines, les mois passent à toute vitesse et que parfois pour plaire ou pour faire reconnaître ma place dans la communauté, je m’avance sur des chemins qui ne sont peut-être pas les miens. J’entends à peine la petite voix de Marily, un an et demi. Bon, vous me direz… philosophique, psychothérapeutique ton affaire. Ben oui!

L’observation prend une grande place en ce moment, en partie, puisque je suis un cours de leadership à l’Université Laval. Ce cours est assez différent de ce à quoi je suis habituée et de l’encadrement généralement donné par l’école. Mes devoirs consistent à méditer tous les jours et à lire des textes sur l’empathie et l’authenticité. Ensuite, pendant nos cours sur « zoom » (pandémie oblige), on partage et on pousse nos réflexions sur nos patterns personnels avec nos collègues. Du moins, on essaie vraiment fort. Ce sera un processus qui suivra son cours tout au long de la session, jusqu’en décembre. Déjà, je sens les effets, j’entre de plus en plus dans ma zone.

Récemment, j’ai remarqué à quel point on jongle avec toutes sortes de stimuli chaque seconde : notre corps, notre tête, notre cœur et nos tripes canalisent tout ça sans qu’on en soit conscient. C’est fort l’humain! Je comprends mieux pourquoi parfois nous perdons le contrôle. L’identité et les murs que nous nous sommes construits pour nous protéger ne peuvent plus tenir debout, il y a tellement de pressions qui arrivent de partout.

Par conséquent, je m’aperçois que souvent je m’adapte sans m’écouter, je ne suis pas vraiment attentive à ce qui se passe dans mon corps, à moins que celui-ci ne le fasse surgir avec de l’eau dans mes yeux. Sinon, en général, je reste de glace. Comment fait-on pour apprendre à se connaître si on ne fait qu’ériger des murs censés nous protéger des stimuli de nos émotions et de notre environnement? Comment prendre de bonnes décisions si on ne se connaît pas?

Tout en suivant cette ligne de pensée, je tente de creuser un petit trou dans ce mur si durement achevé. En glissant mon œil dans la fente, j’entraperçois mes besoins, des besoins auxquels je n’avais jamais porté attention, et honnêtement que je ne savais même pas comment nommer ni exprimer.

J’ai envie de croire qu’il se cache une force inépuisable au fond de nos tripes, dans notre vulnérabilité. Il n’y a pas seulement notre tête qui peut réfléchir. Comment faire pour que notre corps rencontrent notre tête, notre coeur et nos tripes, qu’ils se serrent la main et s’entrelacent? La planification, d’accord, mais à quoi bon si chaque moment soigneusement rêvé n’est jamais assez bien au moment où il se produit?

Je me rappelle… je sais que je suis amoureuse de la vie et c’est dans ce but que j’essaie de la planifier. Toutefois, je me rends compte qu’il me faut absolument revenir à l’observation. Observer et raconter mon quotidien, tout simplement. Continuer de rêver, bien sûr, mais sans me dire que le rêve arrivera plus tard, le rêve est maintenant pendant que j’écris ces lignes, pendant que mon cœur explose de joie ou se serre de tristesse. Je veux être attentive à mes émotions, voir les signaux que mon corps envoie pour vivre une vie qui soit le plus harmonieuse possible. Je ne veux pas les tasser derrière un mur pour plaire à l’image que je me fais de ma communauté. Il y a du merveilleux chaque jour devant et derrière nos yeux, nous sommes maîtres de nos perceptions, maître de la création de notre monde. C’est puissant, n’est-ce pas?

Parfois, la vie nous envoie des épreuves, mais vraiment c’est à nous de décider si c’est un défi ou une persécution. Sommes-nous une victime ou un créateur? Moi, j’ai envie d’être créatrice et j’ai envie de voir les problèmes comme des défis à relever. La vie est courte, je veux vivre avec mes tripes et pas cloîtré entre les murs bâtis par mon esprit. Contrairement à ce qu’on peut se laisser croire, nous sommes bien plus que notre identité au travail ou dans nos occupations. Nous sommes tous uniques autant que nous sommes, tous liés par le chemin de la vie, à apprendre et à découvrir chacun à notre rythme. Quelque chose me dit que dans les prochains mois, je vous écrirai plus souvent. J’ai quelque chose à dire, j’ai quelque chose à raconter, c’est criant.

Je termine comme j’ai commencé, avec une citation à travers laquelle j’ai vu mon reflet :

Alors si vous écrivez, de grâce ne tournez pas autour du pot, dites que vous êtes écrivain. Un écrivain, c’est quelqu’un dont l’activité principale est d’écrire. […] Répondez clairement quand on vous pose la question pour qu’on puisse passer à autre chose.

–Dany Laferrière, Journal d’un écrivain en pyjama
Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

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