Réfléxions 12 avril 2021

Printemps 2021 : Une mystérieuse floraison?

L’interrogation de Jankélévitch me permet d’observer qu’au sein de la Nature sommeille une source d’énergie inépuisable et que nous, les humains, sans ultime pouvoir rationnel ou décisionnel, évoluons avec sa vigueur. Nous suivons le rythme des saisons sans comprendre l’étendue des rouages qui nous soutiennent.

Par Marily Nolet

Printemps 2021 : Une mystérieuse floraison?

Aussi humaine que je puisse être, chaque printemps, je me surprends à prendre conscience de la part florale qui m’habite. Tout comme les crocus, pendant les temps froids, ni vu ni connu, une graine de courage semble avoir germé en moi. Dès les premières chaleurs, je ne veux que prendre racine au creux de mon estime ragaillardit. Grâce à cette nouvelle lumière, je reconnais la force bâtie dans le silence de la nuit et je n’entends qu’à émerger vers le grand jour. Malgré ma fragilité, je n’ai qu’un rêve; me laisser enorgueillir par le soleil et faire partie intégrante du jardin de la Terre.

Comment tant d’hivers répétés n’ont-ils pas dégoûté la nature de faire des fleurs?

–V. JANKÉLÉVITCH, L'ironie

L’interrogation de Jankélévitch me permet d’observer qu’au sein de la Nature sommeille une source d’énergie inépuisable et que nous, les humains, sans ultime pouvoir rationnel ou décisionnel, évoluons avec sa vigueur. Nous suivons le rythme des saisons sans comprendre l’étendue des rouages qui nous soutiennent.

Chaque printemps, lorsque les rayons caressent délicatement ma peau, je me prends à penser : Pourquoi la vie ne serait pas seulement de profiter du soleil? Me sentant, manifestement, tout près de mes cousines les fleurs, j’étends mes fantaisies jusqu’à inventer des yeux pour apprécier ma beauté, des pupilles qui n’ont qu’une attente bien simple en retour : être les récipients de cette même bienveillance. Je constate, tristement, que dans le monde actuel, urbain et civilisé, cet espoir pourtant si instinctif s’affaiblit à coup d’idéaux cyniques, d’opinions tranchées et de supériorité morale. Bien ensevelie d’informations et de noms sans visage, je n’arrive qu’à entrevoir des écrans de fumée. Quand cesserons-nous de jouer à la cachette avec l’esthétique des filtres et l’éthique des influenceurs? Quand adviendra enfin la connexion avec le merveilleux mystère qui nous entoure?

Chaque printemps, je me dis que toute ma belle société mériterait une longue promenade dans le bois, où elle pourrait trouver une éclaircie pour s’asseoir et se laisser bercer par la brise, pour observer la neige fondre et écouter le craquement des arbres, et peut-être même pour goûter l’eau sucrée qui s’échappe par un trou de l’écorce de notre érable nationale.

Bon an mal an, les crocus vont sortir avec le printemps, malgré la gravité de la pandémie, malgré le néant qui nous écrase à la maison. Paradoxalement, le Québec a rarement autant joué dehors, autant connecté avec sa nordicité. Peut-être verra-t-il les crocus se profiler pour la première fois? Peut-être qu’il réalisera la générosité infinie du foyer qui le gouverne et, du même coup, la fragilité de l’humanité? Je rattrape la pensée du philosophe Kierkegaard qui dit qu’un néant mystique, si l’on sait se le représenter, est riche de contenu, tout comme le silence de la nuit peut l’être, à condition d’avoir des oreilles pour entendre.

J’ai espérance que la leçon d’humilité envoyée par la Nature soit annonciatrice d’un nouveau narratif, d’un rappel à l’essentiel, qu’elle soit un signe du cycle éternel qui régit la destruction et la création.

Je me laisse croire à un recommencement, à un secret qui nous rendra tous complices de la beauté du monde, à un été qui amènera avec lui la lucidité.

J’ai foi en une mystérieuse floraison collective.

Marily Nolet
Marily Nolet

Émerveillée et attentive, j'écoute la vie comme je la raconte.

Rechercher rily